Depuis leur apparition, en 2019, les infirmières et infirmiers de pratique avancée (IPA) ont fait couler beaucoup d’encre. Et à un moment, où les débats sur l’avenir du système de santé en France se multiplient, la place de ces infirmières de pratique avancée se posent avec encore plus de force. Pourtant, de nombreuse problématique restent à solutionner.

 

 

Les premières infirmières de pratique avancée ont été diplômées en 2019, et depuis ce sont environ 700 IPA supplémentaires, qui accèdent chaque année au système de santé. Si au début de cette année 2022, on compte un millier d’IPA à l’hôpital comme en libéral, ces dernières tirent déjà la sonnette d’alarme pour l’avenir même de leur profession naissante. Les conditions d’installation et d’exercice notamment pour les infirmières libérales ne sont pas satisfaisantes et menacent en soi l’existence même de cette pratique avancée. Ces difficultés sont également renforcées par le manque de reconnaissance, due notamment à une multiplication des mentions très spécifiques (voir ci-dessous les réactions lors de la création d’une cinquième branche dédiée aux urgences). D’autant plus que les infirmiers spécialisés, comme les IADE, revendiquent aussi leur intégration à l’univers des IPA sans pour autant renoncer à leur spécificité.

Considérées par certains comme de super-infirmières et par d’autres comme des sous-médecins, les infirmières de pratique avancée répondent, quoi qu’il en soit, aux besoins actuels, nés du :

  • Vieillissement de la population et donc de l’augmentation du nombre de patients atteints de pathologies chroniques. Les projections démographiques confirment cette tendance pour les prochaines décennies
  • Pénurie de médecins, avec la généralisation de ces « déserts médicaux », posant le problème du respect du droit à l’accès aux soins. Les mesures prises pour endiguer cette désertification médicale ne produiront d’effets que dans plusieurs années.

Défendue et même valorisée par le ministère de la santé, la pratique avancée souffre cependant d’obstacles et de freins, qu’il va falloir rapidement solutionner quand on sait que le nombre d’IPA pourrait être multiplié par 5 dans les 5 prochaines années.

La multiplication des mentions, un danger pour la reconnaissance des IPA ?

Depuis octobre 2021, une cinquième branche, celle des Urgences, a été officiellement reconnue pour les pratiques avancées dans le domaine infirmier. Ce sont donc désormais 5 domaines d’intervention qui sont accessibles aux IPA :

  • Pathologies chroniques stabilisées, prévention et polypathologies courantes en soins primaires
  • Oncologie et hématomes-oncologie,
  • Maladie rénale chronique, dialyse transplantation rénale
  • Psychiatrie
  • Urgences

 

Contestée par le Haut Conseil des professions paramédicales, cette décision avait soulevé la colère de nombreux professionnels de santé, à commencer par les infirmiers anesthésistes (IADE), qui se faisaient également entendre sur leur revendication d’intégrer le champ des IPA (voir ci-dessous). Si les infirmières de pratique avancée se réjouissaient en revanche de la création de cette nouvelle spécialisation, elles regrettaient cependant qu’elles aient dû accepter autant de compromis pour surmonter les réticences du corps médical.

Julie Devictor, présidente du Conseil national professionnel (CNP) IPA déplorait que les IPA Urgences devaient donc, pour exister, accepter de renoncer à leurs prérogatives.

la pratique avancée, c’est de l’autonomie. Ce n’est pas de la coopération et cela ne peut pas reposer sur une délégation médicale. « 

Depuis, infirmières et infirmiers de pratique avancée s’efforcent de « faire changer la loi », afin d’imposer la place, qu’ils estiment devoir occuper.

Les infirmiers spécialisés, des infirmiers de pratique avancée en puissance ?

 

Dans ses «Trajectoires pour de nouveaux partages de compétences entre professionnels de santé » , l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) considère que les infirmières de pratique avancée à la française reste un statut hybride, n’allant pas au bout des préconisations du Conseil International des Infirmiers (CII) notamment ou ne traduisant pas toutes les spécificités de ces pratiques avancées,, telles qu’elles sont appliquées dans d’autre pays :

 

Le modèle français de pratique avancée est en réalité hybride. Se revendiquant ‘‘nurse practionner’’ à l’anglo-saxonne, qui dispose d’une autonomie élargie incluant accès-direct, diagnostics simples et primo-prescription, la version française de la pratique avancée n’offre cependant pas cette autonomie.

 

Cela explique notamment, que des infirmières et infirmiers spécialisés aient pu regretter que leur exercice quotidien ne soit pas automatiquement reconnu et intégré à ces pratiques avancées. C’est notamment le cas des infirmiers anesthésistes, dont la demande a été reconnue comme légitime par le rapport de l’IGAS. Outre les ajustements réglementaires nécessaires à cette intégration des IADE dans la sphère des IPA, le rapport souligne également la nécessité de reconnaitre deux statuts distincts :

  • Les infirmiers en pratique avancée praticiens
  • Les infirmiers en pratique avancée spécialisées, auxquels seraient alors rattachés les IADE notamment.

Et les infirmiers hospitaliers et infirmières libérales, une profession médicale à part entière ?

 

Bien que les revendications des IADE sont légitimes et compréhensibles, elles pénalisent cependant la visibilité des IPA, dont certains professionnels de santé méconnaissent encore le rôle et les missions. Cette complexité peut se trouver renforcée, quand le syndicat majoritaire chez les infirmières libérales, la Fédération Nationale des Infirmiers (FNI), propose que la profession infirmière devienne une « profession médicale à compétences définies ». Dans le cadre des propositions faites aux candidats à l’élection présidentielle, la FNI invite donc à une profonde réécriture du décret de compétences, en les élargissant grandement. En revanche, le président de la FNI, M Daniel Guillerm, crée quelque peu la confusion en expliquant :

« Il faut un niveau master, même s’il ne faut pas forcément ajouter deux ans d’études, comme pour les IPA »

Tout en sanctuarisant le diagnostic médical, cette proposition entend valoriser le « diagnostic et le suivi infirmiers », que les infirmières et infirmiers libéraux peuvent assurer. On peut légitimement penser, que les médecins ne soient pas enclins à soutenir une telle évolution, d’autant plus quand on se souvient des vives réactions suscitées par l’expérimentation d’une délégation de compétences aux IPA en novembre 2021. N’est-ce pas le message, qu’a voulu faire passer le Dr Patrick Bouet, président du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) à l’occasion de ses vœux : “Nous allons tout faire pour que, politiquement, professionnellement, les médecins restent au cœur de la prise en charge des Français”. Outre la probable opposition des médecins, cette proposition rend moins lisible les avantages de renforcer le déploiement de la pratique avancée.

Les IPA et IPAL veulent aussi voir leur rôle et leur place clairement définis

 

Si les infirmières et infirmiers de pratique avancée se félicitent de voir ce rapport souligner les effets bénéfiques de leur mise en place tant à l’hôpital qu’en ville, ils craignent aussi de voir leur rôle et leur place être de plus en plus complexe à comprendre avec l’introduction de cette distinction praticiens / spécialisés. Ils soulignent également, que les moyens alloués à la généralisation de la pratique avancée sont largement insuffisants. Dans un communiqué de presse daté du 24 janvier, l’union nationale des Infirmiers en pratique avancée (UNIPA) s’alarme même

 

Le dispositif de conventionnement mis en place dans le libéral est quant à lui à revoir intégralement.

 

 

La situation devient urgente, alors que parmi les premières diplômées IPA, certaines ont déjà décidé de jeter l’éponge, constatant l’impossibilité de mener à bien leur mission au vu des faibles moyens qui leur sont accordés. L’entretien, que les IPA ont pu avoir avec Olivier Véran, Ministre de la Santé, le 20 janvier dernier, n’a pas apaisé les craintes, qui se concentrent autour de 3 aspects à savoir «  les questions cruciales de la rémunération des IPA,   la possibilité pour la population de recourir à un IPA sans orientation médicale et de la primo-prescription (…) »

Voilà donc bien des difficultés à résoudre et des obstacles à surmonter, pour que les infirmières et infirmiers de pratique avancée puissent se développer sereinement.

 

Et vous, que pensez-vous de cette nouvelle profession ? Les IPA vont-ils réussir, selon vous, à trouver leur place tant à la ville qu’à l’hôpital ? Quelle devrait être selon vous la conduite à adopter pour clarifier les missions de ces IPA ?