Le sujet est délicat et, malheureusement peu médiatisé. Pourtant selon le CepiDc-Inserm, 28% des suicides survenus en France en 2010 ont concerné des personnes de 65 ans et plus. Un chiffre consternant qui ne peut que nous alarmer sur la qualité de fin de vie de nos séniors. Et vous, les infirmiers libéraux, qui avez comme public privilégié ces personnes âgées, comment avez-vous été formés pour appréhender ces risques et ces enjeux ?

Le suicide des séniors, la réalité de l’angoisse de fin de vie

Nous avons toujours beaucoup de mal à imaginer, en tant que personne active, en charge de multiples tâches professionnelles, familiales et relationnelles, que des séniors puissent vivre le même type d’angoisse sachant qu’il semblerait que toutes ces responsabilités ne leur incombent plus. En réalité, le problème est ailleurs : le stress de la personne âgée se situe bien plus sur son état d’autonomie, de dépendance ou de manque affectif des proches. Ainsi le gériatre Eric Kariger explique en 2013 à l’Union Ardennais  son point de vue : « Un syndrome le résume, les 4 D : une douleur chronique, une dépendance psychique, une dépendance physique, et la dépression. Une douleur chronique négligée va entraîner des troubles du sommeil, va faire que l’on aura des troubles attentionnels, faire que l’on n’aura pas le moral, ce qui aggravera la dépression… ». Et malheureusement qui dit dépression, dit aussi parfois suicide si cette dépression n’est pas décelée avant…

Si le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes, un suicide sur trois, en France, concerne une personne âgée. Or, on considère souvent que l’état dépressif de la personne âgée est normal, qu’il fait partie de l’ordre des choses.

En effet les chiffres du taux de personnes âgées se donnant la mort sont effarants en regard aux autres tranches d’âges. Pour 100.000 habitants, l’incidence du suicide en 2011 est de :

  • 6,4 %   pour   les 15-24 ans,
  • 12,2 % pour les 25-34 ans,
  • 20.9 % pour les 35-44 ans,
  • 26.4 % pour les 45-54 ans,
  • 22.3 % pour les 55-64 ans,
  • 20.6 % pour les 65-74 ans,
  • 29,6 % pour les 75-84 ans,
  • 40,3 % pour les 85-94 ans.

Plus concrètement, ce qui est pointé du doigt par le récent rapport de l’Observatoire National de la Fin de Vie, est tout simplement qu’un suicide sur trois concerne une personne âgée ce qui, dans un pays qui se doit d’être préparé au vieillissement démographique de sa population, est intolérable. Selon les spécialistes, plusieurs facteurs rentreraient en cause dans ce triste constat. Ainsi les projets de lois prévus par Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie, souhaitent s’appuyer en particulier sur les résultats du rapport mené par l’Observatoire National de la Fin de Vie pour faire de cette cause une priorité gouvernementale.

suicide personne âgéeLe troisième âge, l’infirmier libéral et notre société actuelle

Selon Eric Kariger, gériatre, une des causes principales serait que l’on considérait comme beaucoup trop banal le fait qu’une personne âgée puisse avoir des propos suicidaires, ne voulant plus vivre ou n’ayant, selon elle, plus rien à offrir ou à donner. Or ce phénomène n’aurait pas de lien selon lui avec l’âge mais bien tout simplement, comme toute autre personne plus jeune, avec la dépression. Trop souvent, une dépression serait considérée comme normale chez un sujet âgé. « Cette phrase et ces états sont des perches qu’ils nous tendent. Il faut faire attention à la valse des symptômes. La personne va se plaindre de sa hanche, de tous ses symptômes. C’est un appel au secours qui doit faire tilt chez le médecin : c’est une dépression masquée… ». Ainsi le rapport effectué à la demande du gouvernement et remis le 8 octobre 2013 aux mains de Michèle Delaunay et de Marisol Touraine souhaite organiser cette prévention sur trois axes fondamentaux :

  • Renforcer l’information et la communication à destination du grand public.
  • Améliorer la formation initiale et continue de tous les intervenants auprès des personnes âgées, qu’ils soient bénévoles ou professionnels.
  • Mieux valoriser les actions et dispositifs déjà existants sur l’ensemble du territoire.

Ainsi fut donc annoncée le 12 février 2014 le projet de loi sur l’autonomie des personnes âgées se voulant prioritairement dirigé vers « l’anticipation pour prévenir la perte d’autonomie, l’adaptation de la société au vieillissement et l’accompagnement de la dépendance ». Et un an après, qu’en est-il ? Alors qu’en est-il de ces volontés gouvernementales aujourd’hui, pour vous, infirmiers libéraux qui côtoyez quotidiennement des patients âgés ? Et pensez-vous que l’accompagnement psychologique mis en place pour les personnes âgés sont suffisants au regard de leurs besoins ? Vous sentez-vous suffisamment formés d’un point psychologique pour déceler ces patients suicidaires et mettre en place des protocoles de soins avec vos partenaires médicaux ?