Consultées pendant près de 6 mois à l’échelle nationale, les infirmières se projettent dans l’avenir en imaginant les décisions nécessaires à l’évolution de leur profession. L’Ordre National des Infirmiers dresse le bilan de cette consultation et propose une base de travail pour faire évoluer le métier d’infirmière libérale et hospitalière.

 

Une grande consultation pour faire entendre les revendications des infirmières en France

 

Après la présentation, en septembre 2018, des grands principes devant régir l’organisation de la Réforme « Ma Santé 2022 », de nombreuses professions de santé avaient fait entendre leur proposition pour contester une décision, qui ne prenait pas en compte leurs revendications. Les infirmières libérales et hospitalières faisaient partie de ces contestataires. C’est pour mieux comprendre et analyser le malaise de ces infirmiers et infirmières, que l’Ordre National des Infirmiers (ONI) avait lancé dans les premières semaines de l’année 2019 une vaste consultation auprès de tous les professionnels concernés.

Pendant plusieurs mois, les IDE ont ainsi pu s’exprimer. Un livre blanc a été réalisé sous la direction de l’ONI pour traduire les résultats de cette consultation des infirmières libérales et hospitalières. Sous le titre « Reconnaitre la contribution infirmière au système de Santé. Livre blanc de la profession infirmière », cette synthèse des contributions commence par un remerciement appuyé envers toutes les infirmières et tous les infirmiers qui y ont participé. Plus de 20.000 contributions ont permis de dégager des pistes engageant la profession tout entière d’une part mais aussi des revendications concernant plus particulièrement les infirmières libérales et d’autres celles exerçant en milieu hospitalier. Et pas moins de 38 % des professionnels ayant répondu à cet appel à consultation exerçait la profession sous sa forme libérale.

 

Un malaise profond qui s’aggrave au sein de la profession

 

Le premier constat est sans appel et concerne tous les modes d’exercice. Alors que les infirmières et infirmiers ont l’impression d’être le dernier rouage d’un système de santé qui se dégrade, ils reconnaissent tous être à bout de force et au bout de la crise de nerfs. Les contraintes grandissantes, tant à l’hôpital que pour ce qui concerne les infirmières libérales, s’aggravent par un manque de reconnaissance, que souligne une grande majorité des participants.

Ainsi, il ressort de cette synthèse, que 63 % des infirmiers ressentent « très souvent » un symptôme d’épuisement professionnel. Une fatigue ou une lassitude, que l’on retrouve chez les infirmières libérales comme en milieu hospitalier. Facteur aggravant, le manque de considération n’améliore pas la situation, puisque 9 professionnels sur 10 (89 %) s’estiment mal ou pas assez considérés. C’est d’autant plus préjudiciable, que la population dans son ensemble reconnait l’importance de la profession infirmière (95 %). Ce manque de considération passe aussi par la rémunération des infirmières et des infirmiers, rémunération que beaucoup de professionnels considèrent comme largement insuffisantes. De nombreux témoignages en attestent. L’ONI a cherché à analyser cette problématique de la rémunération, en étudiant ce qui se passe dans le reste des pays comparables à la France. Il en ressort que le salaire moyen des infirmiers est 5% en dessous du salaire moyen des Français. Et dans les autres pays de l’OCDE, la rémunération moyenne des infirmières est en revanche 14 % plus élevé que le salaire moyen des populations concernées. On comprend la distorsion et ce sentiment de déclassement et de manque de reconnaissance.

Les infirmières prennent la parole pour exprimer ce ras-le-bol

 

Pour illustrer et confirmer ces constants, le rapport de l’ONI rapporte des extraits de certaines contributions. De nombreuses infirmières libérales ont exprimé ce malaise profond, comme cette IDEL de la région Occitanie : « Pour l’instant, nous ne sommes que des exécutantes. J’adore mon métier. Je suis en libéral dans le Lot en milieu rural. Je fais 80 000 kms par an… Il n’y a aucun autre métier qui ne travaille pour rien, c’est honteux. »

 

Mais si les infirmières déplorent ce manque de reconnaissance, elles insistent également pour bien souligner qu’il ne s’agit pas seulement d’une question de rémunération. En effet, les pratiques doivent évoluer, et les infirmières libérales comme leurs consœurs hospitalières fourmillent d’idées pour faire évoluer la profession. Ainsi, les professionnels qui ont fait entendre leur voix expliquent l’impossibilité de toujours concilier la qualité optimale des soins prodigués aux patients avec le strict respect des contraintes légales ou réglementaires. Il devient donc urgent, à leurs yeux, de changer les choses et de faire évoluer la profession. Il ressort de cette vaste enquête que 69 % des infirmiers déclarent administrer aux patients de manière quotidienne un médicament sans prescription médicale. Et 61 % des professionnels admettent devoir modifier la posologie d’un traitement dans la même fréquence. Il devient donc urgent d’adapter le cadre réglementaire de la profession à la réalité du terrain.

Des idées à explorer pour faire évoluer la profession infirmière

 

Et lorsque l’on entre dans le détail des participations de chacun et chacune, on souligne alors l’émergence de nouvelles idées, qui devraient être explorées. Une des demandes les plus récurrentes concerne la consultation infirmière, que beaucoup reconnaissent pratiquer au quotidien, bien qu’elle n’ait aucune réalité juridique. Une infirmière libérale explique ainsi : «  En libéral, la consultation, elle est quotidienne. Nous sommes les seuls professionnels de santé à domicile. Lorsque nous contactons les médecins, nous leur faisons le compte-rendu total avec l’ensemble de nos observations. Nous donnons aux médecins toutes les réponses. Ils reconnaissent notre expertise et sont même en demande. Ils se reposent beaucoup sur nous. Eux-mêmes ont le désir de voir notre profession évoluer. »

94 % des infirmiers portent cette première proposition du rapport, qui est donc d’instituer une consultation infirmière, même si bien des questions restent encore en suspens. Cette première proposition est suivie de 25 autres, toutes inspirées des remontées des professionnels agissant au quotidien auprès des patients.

26 propositions pour imaginer la profession d’infirmière de demain

 

Pour les infirmières libérales, cette consultation dans le cadre du maintien à domicile devrait permettre d’évaluer et d’organiser le parcours de soins du patient. Une autre revendication portée avec force par la profession consiste à élargir le droit à prescription des infirmières. La demande des infirmières libérales notamment rejoint ici celle de la population, puisque 82 % des Français se déclarent favorables au droit de prescription des analyses médicales et des radios, et que 74 % autoriseraient même les infirmières à une prescription médicale sans consultation d’un médecin. Les infirmières libérales soutiennent fortement cette demande, qui prend encore une autre urgence dans le milieu hospitalier, comme l’explique une infirmière : Nous faisons les actes avant de demander aux médecins. Nous ne pouvons pas déranger les médecins toutes les cinq minutes. Nous pensons aux patients en premier »

Une troisième série de griefs concerne aussi l’élargissement du domaine de compétences des infirmières, comme par exemple en ce qui concerne la prise en charge de la télésurveillance. De la même façon, parce que les infirmières libérales sont les premiers soignantes au chevet des patients, et qu’en milieu hospitalier, la profession représente le premier maillon de la chaine, plusieurs propositions de l’ONI tendent à créer un véritable rôle infirmier dans la prévention et l’éducation pour la santé. Une IDEL le résumait parfaitement lors d’une réunion en Nouvelle Aquitaine en expliquant : Il y a une compétence dont on n’a pas parlé. Être capable de développer chez nos patients des capacités à prendre soin de leur propre pathologie. Aucun soignant ne peut être aux côtés du patient 24h/24. »

Enfin, la dernière problématique abordée par ces propositions s’attaque à la question de la reconnaissance de la profession, en conférant aux infirmières le titre de professionnel de santé en lieu et place de celui d’auxiliaire médical.

 

Voilà donc comment en 26 propositions, l’ONI imagine la profession infirmière. Certaines des mesures sont déjà à l’étude, et la crise des services des urgences n’y est pas étrangère. Il faudra néanmoins attendre les réactions mais aussi les déclarations du Ministère de la Santé pour savoir si ces 26 propositions, ou tout du moins une partie d’entre-elles, ont une chance de se concrétiser dans les prochaines semaines. Toute la profession attend un geste des autorités publiques, et on peut raisonnablement penser, que la consultation de la profession peut s’imposer comme une piste de travail, sur laquelle pourront s’appuyer les prochains travaux.

Et pour vous, quelles seraient les mesures à prendre en urgence ? Des pistes vous semblent-elles ignorées ou pas assez mises en avant ?