Une fois n’est pas coutume, c’est le témoignage d’une infirmière libérale, que nous avons décidé de partager. Nous ne sommes pas les seuls, puisque d’autres sites se sont également empressés de s’en faire l’écho. Alix, une jeune infirmière libérale, termine son post posté sur Facebook par une simple demande, à laquelle nous avons été sensibles :

 « (…) si vous voulez faire chose, juste partagez pour que ça soit lu par un maximum de médecins généralistes. Pour que ce genre de mort survienne le moins possible. Merci. »

Les infirmières libérales face à la mort, une situation difficile à vivre

Vous l’avez déjà compris, le récit relate les dernières heures d’un patient, qu’Alix et sa collègue ont accompagné jusqu’à la fin. De retour d’un centre de convalescence, le patient en question se retrouve bien mal en point chez lui, et Alix sait que la fin de vie est imminente. Le patient ne souhaitait qu’une chose, vivre ses derniers instants à son domicile, et c’est donc chose faite mais dans quelles conditions et à quel prix ? Alix se révolte de cette situation. Elle sait que la fin est proche, partageant cette connaissance avec les autres infirmières libérales, ayant déjà connu la situation :

« Son teint était pâle translucide : le visage de la mort. Celui qu’on apprend à reconnaître par expérience : quand la peau devient grisâtre et cartonnée, l’œil vitreux et le regard dans le vide qui reste accroché sur on ne sait trop quoi. Il ne s’alimentait plus, avalait de travers quand on essayait de le faire boire quelques gouttes d’eau et ne parlait presque plus. Il gémissait, un peu. Parfois. Allongé dans son lit, sans pouvoir bouger. Un corps mort. Ou presque. »

Un sentiment de solitude et d’impuissance, difficile à vivre

La situation est terrible certes mais elle fait partie du métier, même si on ne peut s’y habituer. Ce n’est pas le décès en lui-même qui révolte et ulcère Alix mais les conditions, dans lesquelles ce dernier s’est déroulé. Le patient souffrait, et comme toute infirmière libérale, Alix a cherché à soulager cette souffrance, devant alors insister auprès d’un médecin pour qu’il se déplace.

« Le seul souci, c’est que ce médecin, très peu à l’aise avec la mort et probablement pas au fait des prises en charge de fin de vie, n’a pas du tout géré l’anticipation du décès : les quelques prescriptions faites n’étaient pas adaptées à une fin de vie imminente. »

Alors Alix a même suggéré d’ « d’appeler les soins palliatifs. Par téléphone, ils ont répondu que M. X n’était pas prêt, que ça n’était pas le moment. ». C’est donc bien seules, que les deux infirmières libérales ont dû accompagner ce patient, sans aucune autre aide médicale. Et c’est cette solitude, et au final cette impuissance à soulager, à faire son métier tout simplement, qui apparaît intolérable à Alix et à sa collègue.

Sans ordonnance anticipée et adaptée de la part du médecin, nous n’avons rien pu faire de médical pour le soulager.

Une impuissance intolérable pour des infirmières libérales désemparées

Le récit de ces derniers instants atteste à quel point, il a été intolérable pour les deux infirmières libérales de ne rien pouvoir faire médicalement parlant, parce qu’humainement, elles étaient là, présentes.

Et il s’est vidé de son sang, comme on égorgerait un porc. Tout simplement, comme on viderait une bouteille d’eau en ses jours de canicule. Mais lui, s’est vidé par l’anus, par la bouche et même par les yeux (chose que je n’avais jamais vue). Il baignait dans sa merde et dans son sang, écroulé au milieu de son lit dégueulasse et il hurlait à la mort à chaque fois que j’essayais de le bouger pour éponger tout ce merdier. Dans ses derniers moment d’énergie, il a même réussi à crier « putain je m’étouffe !!! » Je pense que là, il s’étouffait vraiment… Ma collègue et moi nous n’avons rien pu faire de médical pour l’accompagner dignement vers sa mort. Nous avons été de bien belles et simples observatrices passives de cette déchéance programmée.

On sent la détresse d’Alix en poursuivant la lecture :

J’ai pompé sa merde et son sang

J’ai changé son lit 3 fois en 12h.

Je lui humecté les lèvres et passé un linge mouillé sur son visage.

J’ai essayé de lui faire avaler son comprimé de morphine. Tout ce que j’ai réussi à faire c’est qu’il s’étouffe un peu plus.

J’ai pris son téléphone et j’ai appelé sa famille pour qu’il les entende une dernière fois. J’ai tenu le téléphone à son oreille pour qu’il entende ses proches et j’ai vu ses larmes couler sur ses joues (les miennes coulant avec).

Je l’ai couvert en urgence d’un drap propre pour cacher son sang quand j’ai entendu son fils débarquer chez lui à 7h ce matin.

Je lui ai tenu la main, je lui ai caressé le front. Un peu, mais pas assez. Pas assez du tout même.

Je lui ai bêtement dit «courage» face à sa douleur, et «je sais bien» quand il m’a hurlé «je m’étouffe».

Et puis je suis repartie bosser en le laissant tout seul avec sa mort pourrie et avec son fils perdu dans sa maison. Car j’avais déjà une heure de retard sur ma tournée.

Ma collègue, elle, s’est levée à 7h du mat d’un bond réveillée par sa sonnerie de son téléphone, son jour de repos. Elle a pris ma relève sans hésiter quand je l’ai appelée au secours.

Elle est arrivée juste à temps, pour son dernier souffle et lui a tenu la main.

Elle lui a fait la toilette mortuaire, l’a lavé de toute sa merde et de tout son sang. Elle a jeté les draps, ouvert les fenêtres et lui a passé de l’eau de Cologne sur tout le corps avant que ses enfants arrivent et sentent l’odeur de merde et de sang digéré.

Elle a acheté des bougies et les a disposées dans sa chambre, elle l’a habillé dignement et est allé couper des roses de son jardin. Celles qu’il aimait tant. Elle les a disposées tout autour de lui en attendant sa famille. 

Des leçons à tirer pour un accompagnement plus digne

Alix, dont l’expérience et le ressenti ne peuvent être décrits (seules les infirmières et infirmiers libéraux, ayant vécu pareille expérience, peuvent le comprendre), a souhaité partager ce récit pour faire avancer et évoluer la situation. Elle ne comprend pas la réaction du médecin, qui à l’annonce de la mort de son patient, répond par sms « merci d’avoir géré, une belle pensée pour lui ».

J’ai voulu aller voir le médecin pour discuter directement avec lui. Mais ma collègue, à qui appartient le cabinet, m’a demandé de ne pas le faire. De peur du grand pouvoir du médecin probablement… Omerta et chape de plomb… Je vais donc respecter sa demande. Mais je vais écrire pour dénoncer. Dénoncer non pas la personne mais les actes. Dénoncer une prise en charge qui ne doit plus se reproduire et faire que cette expérience soit au final quelque chose de positif pour l’avenir d’autres malades.

On comprend donc mieux les raisons, qui poussent Alix à écrire de manière anonyme, et personne ne pourrait le lui reprocher désormais. C’est donc avant tout aux médecins, qu’Alix s’adresse en rédigeant son récit, même si on imagine qu’il fut aussi un exutoire à une situation difficilement acceptable.

Ce que j’aimerais vraiment, c’est que ce post puisse être lu par le maximum de médecins. Surtout par les médecins généralistes et particulièrement ceux qui ne sont pas à l’aise avec la mort à domicile. Je ne vous juge pas. Je ne dis pas que vous êtes nuls ou de mauvaises personnes. Je voudrais juste que vous compreniez qu’une prise en charge d’une fin de vie à domicile est possible si une continuité des soins existe. Mais pour cela, il faut qu’elle commence. Et vous en êtes à l’initiative. C’est vous qui devez prendre la première décision, la nommer, la verbaliser. « On est en palliatif là, on y va! ». Et nous, les infirmières, nous suivrons. Nous sommes sur le terrain trois fois par jour, pour mettre en actes vos ordonnances.

Alors si vous connaissez des médecins généralistes, s’il vous plait, partagez. On est là pour bosser ensemble, on se salira les mains pour vous sur le terrain, y’a pas de souci, mais aidez-nous dès le début aussi. On a besoin de vous. Une fin de vie à domicile est tout à fait possible dans n’importe quel contexte, aussi pourri qu’il soit. La personne finit irrémédiablement par mourir. Par contre, une fin de vie à domicile digne est un plus gros challenge. Elle demande une anticipation et la coordination d’une équipe. Travaillez avec nous svp, pour le bien de nos patients. Merci.

Combien de situations similaires en France pour qu’une Alix prenne la plume même de façon anonyme ? Chacun pourra témoigner de son propre ressenti, de ses propres expériences, mais nous respectons ici le souhait d’Alix, en espérant sincèrement que ce post sera consulté ou transmis au plus grand nombre possible de médecins généralistes. Mais en 2017, alors que tant de dossiers quant à la gestion et à l’avenir des infirmières et infirmiers libéraux sont sur le bureau, il est alarmant de lire un tel témoignage, où une infirmière libérale a l’honnêteté d’un constat implacable :

On a fait ce qu’on a pu. Mais on a rien fait de médical.