Le transfert de compétences du médecin vers l’infirmière, bientôt une réalité ?

C’est un sujet récurrent dans le domaine médical, et il prend encore plus d’importance en ces temps de troubles de la population des professionnels de santé. Mais aujourd’hui, le transfert de compétences du médecin vers l’infirmière est devenu une nécessité pour garantir l’égalité d’accès aux soins aux patients.

Les infirmières libérales, une profession strictement encadrée

Aujourd’hui, la situation des infirmières et infirmiers libéraux reste relativement simple en matière d’actes, puisque ces derniers sont définis par décret (et le dernier décret de compétences date de 2004). Cependant, la loi du 21 juillet 2009 (dite loi Bachelot) pose les conditions pour déroger à ce principe en autorisant les coopérations entre professionnels de santé. Ces protocoles, signés par les professionnels concernés et validés par l’Agence Régionale de Santé (ARS), permettent aux infirmières libérales comme à d’autres d’effectuer, à titre dérogatoire, des transferts d’actes, ne figurant pas dans les décrets de compétences.

C’est un transfert de compétences notamment des médecins vers les infirmières et infirmiers, qui est ainsi organisé pour répondre à un problème ponctuel dans un cadre défini. Ce sont ces restrictions, que condamnent la grande majorité des infirmières libérales en soulignant principalement que :

  • La formation délivrée à l’occasion de ces protocoles n’est pas diplômante dans la mesure où elle n’est valable que dans le cadre défini par le protocole
  • Ce transfert de compétences n’est pas reconnu. En cas de départ du médecin par exemple, l’infirmière concernée ne pourra que constater le terme de ce transfert.

La situation n’est donc pas satisfaisante, d’autant plus que les infirmières et infirmiers libéraux et hospitaliers pointent également une problématique de plus grande envergure : si de tels transferts de compétences sont de plus en plus souvent nécessaires, n’est-ce pas une preuve tangible de la nécessité de revoir le décret de compétences des infirmiers ?

Un transfert de compétences médecin-Infirmière de plus en plus sollicité

Pourtant, si « ces protocoles de coopération permettent juste de régulariser de petits arrangements locaux », comme l’affirme Thierry Amouroux, le transfert de compétences du monde médical vers celui des infirmières et infirmiers libéraux est devenu, au fil des ans, une nécessité. L’opposition systématique et le refus en bloc de tout transfert par les médecins font désormais partie d’une période révolue. La pénurie de professionnels de santé, l’hyperactivité de certains médecins, la multiplication des déserts médicaux, …, sont autant de raisons qui expliquent ce changement d’attitude du monde médical. Ce sont aussi les raisons, qui poussent à voir dans ce transfert de compétences une des solutions pour mieux organiser la politique de Santé de demain. C’est aussi un des axes mis en avant par le gouvernement d’Edouard Philippe pour renforcer le plan gouvernemental pour l’égal accès aux soins dans les territoires.

D’un côté, on dénonce donc un régime de transfert de compétences inadapté à la réalité du terrain et ne répondant pas aux attentes des professionnels de santé, alors que dans l’autre on affiche l’ambition de vouloir renforcer ces transferts. La situation serait-elle vouée à amener le système de santé à l’asphyxie ?

Faire évoluer le système vers une véritable reconnaissance de la profession infirmière

Martin Hirsch, le directeur de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), confirme cette nouvelle ambition en expliquant vouloir « passer de 45 soignants impliqués dans des protocoles de coopération et de pratique avancée à 500 puis 1 000 d’ici à fin 2019 ». L’ambition est forte mais représente bien l’évolution des idées en la matière. Le besoin est bien réel donc à Paris comme partout ailleurs sur le territoire.

Les infirmières et infirmiers libéraux sont quant à eux dubitatifs sur le sujet, car tout dépend également des moyens, qui seront consacrés à ces nouvelles tâches, qui pourront leur être assignées dans les années à venir. Il ne s’agit pas, pour les infirmières libérales, d’accepter un tel transfert de tâches, si elles ne sont pas formées ni même rémunérées à leur juste valeur. C’est la position, défendue par Thierry Amouroux, président du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) : « Nous sommes très hostiles au transfert d’actes quand il s’agit d’un simple glissement de tâches, avec une formation théorique de 25 heures sans validation »

Ces protocoles de coopération ne seraient pas, selon certains syndicats d’infirmières et d’infirmiers libéraux, garants de la sécurité des patients dans la mesure où formation et évaluation ne relèveraient pas de la loi mais de ces protocoles eux-mêmes. Pourtant, si certains protocoles représentent un transfert d’actes techniques (prélèvements de cornées sur personnes décédées, réalisation de ponction médullaire en crête iliaque, …), d’autres se révèlent bien plus complexes comme par exemple la « consultation infirmière de suivi des patients traités par anticancéreux oraux à domicile, délégation médicale d’activité de prescription ». L’infirmière sera alors autorisée à la prescription de certains médicaments mais aussi au renouvellement de la chimiothérapie orale.

Infirmier de pratique avancée, la solution pour faire évoluer la situation ?

Pourtant, une autre solution existe déjà, tout du moins dans les textes officiels. En effet, la problématique principale autour de ce transfert de compétences du médecin vers l’infirmière concerne la reconnaissance officielle et nationale de ces pratiques, impliquant notamment une formation suffisante et reconnue et une rémunération appropriée. C’est ce que doit permettre l’infirmière (ou l’infirmier) de pratique avancée.

La loi de modernisation du système de santé, dite loi Touraine (26 janvier 2016) définit le cadre légal de cette nouvelle spécialisation de la profession infirmière. A ce jour, 200 infirmières de pratique avancée ont déjà été formées. Le master sciences cliniques infirmières (cancérologie, gérontologie et parcours complexes de soins) ou encore le master sciences cliniques en soins infirmiers (santé mentale, maladies chroniques, douleur et soins palliatifs) attestent bien de la diversité des actes et des soins, concernés par ces transferts de compétences.

C’est la solution permettant de faire le lien entre les infirmières et le corps médical, sans pour autant remettre totalement en cause le décret de compétences des infirmiers. Cet échelon intermédiaire existe déjà dans un grand nombre de pays à travers le monde, représentant en moyenne pas plus de 5 % des effectifs d’infirmières.

On pourrait donc supposer, que cette délicate question est enfin tranchée, puisqu’on fêtera, dans quelques semaines, les deux ans d’existence de cette nouvelle catégorie d’infirmière. Sauf qu’à cette heure-ci, aucun décret d’application n’a encore été publié pour donner une existence réelle à ces infirmières de pratiques avancées, et qu’aucune discussion n’a encore été ouverte à ce sujet. On peut donc légitimement penser, qu’il faudra encore attendre de longs mois avant de pouvoir les premiers exemples concrets en la matière. Et en attendant, aussi contestables soient-ils, les transferts de compétences continueront de s’articuler autour de la loi de 2009 ?

Et vous, que pensez-vous de ces infirmières de pratiques avancées ? Comprenez-vous l’intérêt de la démarche ou estimez-vous qu’il aurait fallu revoir en profondeur le décret de compétences des infirmières ?