Pourquoi les infirmières libérales sont-elles si méconnues de l’opinion publique ?

Mis à part les patients, qui connaissent la réalité du quotidien des infirmières libérales, la population a une image faussée et peu flatteuse de cette profession d’IDEL. Les premiers jours de 2018 ne sont guère encourageants pour réussir à changer cette vision de la profession.

 

Une image ternie pour les infirmières libérales, un début d’année difficile

 

Le début d’année est difficile pour les infirmières libérales, tout du moins par rapport à l’opinion publique. En effet, plusieurs faits divers viennent ternir l’image de la profession. Le 11 janvier, c’est une infirmière libérale de Colombes, qui était convoqué devant le tribunal correctionnel de Nanterre. On lui reproche non seulement des facturations fictives, entre 2012 et 2015, pour un montant de 134.000 euros, mais aussi d’avoir falsifié des chèques d’un couple de patients pour un préjudice estimé à 90.000 euros.

Devant le tribunal correctionnel de Valenciennes, c’est une infirmière libérale de Beuvrages qui devait se défendre pour des faits mis à jour en 2012. L’opinion publique (re)découvre alors cette histoire de fraude, qui atteint des sommets et des records. Ce ne sont pas moins d’1.5 millions d’euros de préjudice, dont se plaint la CPAM du Hainaut et de l’Artois. Thomas Denhez, le responsable du département contentieux et de lutte contre la fraude (CPAM du Hainaut), souligne ainsi : « En dossier infirmier, c’est le plus gros montant qu’on ait jamais eu dans le Valenciennois ! »,

Ces récits alimentent la suspicion et la défiance vis-à-vis des infirmières libérales dont, faut-il le rappeler, la quasi-totalité est dévouée et honnête.

Le temps, un bien précieux pour les infirmiers libéraux et tous les professionnels de santé

 

Cette multiplication des procès contre des infirmières ou infirmiers libéraux n’est pas la seule préoccupation de la profession en ce début d’année. Les infirmières libérales suivent ainsi de près les troubles qui agitent les structures de soins à destination des personnes âgées. Plusieurs syndicats appellent à la grève dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, le 30 janvier prochain. Les conditions de travail sont bien évidemment au cœur des revendications, même s’il existe aussi une question de rémunération. La fédération CGT Santé et Action Sociale résume la situation en écrivant : « En moins de 15 minutes, il faut lever un résident, lui faire une toilette sommaire (minutée et limitée à 8 minutes selon les consignes de certains établissements), l’habiller, lui faire prendre son petit-déjeuner et ses médicaments, refaire le lit et, ensuite, passer à un autre résident… Ce qui veut dire qu’il n’y a pas de temps pour parler avec le résident, le rassurer… »

Sans entrer dans le détail de ces revendications, et notamment l’engagement pris (et non tenu) de garantir un ratio d’un soignant par patient, ces conflits soulignent bien la prédominance du contact et du temps passé par les soignants et donc les infirmières au chevet de leurs patients.

 

Libéral, une forme d’exercice dans l’air du temps !

 

L’infirmière libérale, se déplaçant au domicile de sa patientèle, peut alors, dans l’imaginaire collectif, représenter une alternative à ce diktat du temps et de la productivité. On imagine alors l’infirmière libérale venue prodiguer ses soins à une personne hospitalisée à domicile, prendre le temps de parler à cette dernière, d’échanger quelques mots, de débattre des sujets du quotidien. Bien évidemment, l’infirmière libérale, toute dévouée à ses patients, aurait récupéré le courrier pour éviter à son patient d’avoir à attendre toute la journée une autre âme charitable. Au cours de son trajet jusqu’à ce domicile, l’infirmière ou l’infirmier (la vocation n’a pas de sexe) libéral aurait accepté un petit détour pour un achat quelconque, demandé la veille par le patient concerné. La discussion terminée, les soins prodigués, l’infirmière libérale accepterait enfin un petit café, afin d’apaiser par sa seule présence, le patient, dont elle a la charge. Elle pourrait ensuite prendre congés dans le calme et sans précipitation pour rejoindre le second patient de la journée.

Certaines et certains se sont déjà étranglés à la lecture de ce récit imaginaire. A condition d’accepter de ne visiter que 3 ou 4 patients par jour, l’infirmière libérale est, comme dans les EPHAD, soumise à un rythme de plus en plus contraignant. Le contact humain ne bénéficie pas d’une codification spécifique à la Nomenclature, et de toute façon, il serait toujours considéré comme le soin « gratuit », celui que les infirmières libérales ne facturent pas. Il s’ajouterait à la liste déjà longue de ces soins facturés à 50 % ou prodigués uniquement pour la santé du patient et sans aucune rémunération.

Libérale, l’infirmière ne dispose cependant pas de la liberté de « prendre le temps », comme l’opinion publique le souhaiterait. Des patients à visiter à heures fixes, des tarifications qui imposent de multiplier les soins pour gagner sa vie, des tracasseries administratives qui rallongent les journées de travail, des imprévus auxquels l’infirmière libérale doit faire face seule, ….On retrouve donc bien les motifs, qui conduisent le personnel soignant des EPHAD à faire grève dans quelques jours. Sauf qu’en choisissant la forme libérale, chaque infirmière et chaque infirmier a souhaité gagner en liberté quitte à perdre la force d’une revendication collective…

 

L’infirmière libérale, une femme qui materne ou une soignante reconnue ?

 

La question est volontairement provocatrice, mais les infirmières libérales ont pendant longtemps véhiculé cette image de la femme qui materne et qui accompagne ses patients. Au cours des dernières décennies, l’image a certes changé mais les images d’Epinal ont la vie dure. Les médecins, qui considèrent (peu ou mal) les infirmières libérales, l’imaginaire collectif, qui considère que le choix de l’exercice libéral repose avant tout sur une question financière, les hommes, qui continuer à nourrir des fantasmes déplacés, …. L’infirmière libérale n’est pas, pour commencer, de sexe féminin même si la profession reste, dans sa très grande majorité, occupée par le beau sexe. Dans l’esprit collectif, l’infirmier libéral serait plus détenteur d’un savoir et d’une expertise que ses consœurs. Les esprits et les mentalités changent certes, mais les préjugés résistent encore.

Quel serait le portrait type d’une infirmière libérale, si on demandait à la population de le dresser ? La seule certitude serait que la différence avec votre quotidien serait énorme. Oui, l’infirmière libérale est son propre patron et peut se prévaloir d’exercer sa vocation sans hiérarchie. Mais cela n’implique en rien, que l’infirmière libérale s’organise comme elle le veut. Cela signifie aussi, que l’infirmière libérale est, par définition, une indépendante, qui doit gérer son administratif, sa compatibilité, réussir à concilier sa vie professionnelle avec sa vie privée, tout en assurant les soins auprès de sa patientèle.

C’est donc bien une image éloignée de la réalité des IDEL(s), qui est portée par la majorité de nos contemporains et contemporaines, même si, il faut aussi le souligner, cette représentation est bien plus avantageuse lorsqu’elle émane des patients de ces infirmières libérales. Alors, quelques faits divers (et on pense aux procès évoqués ci-dessus relatifs aux fraudes présumées de certaines infirmières libérales) viennent alourdir cette suspicion collective vis-à-vis d’une profession, suspectée de s’enrichir en soignant. Et lorsque les infirmières des EPHAD dénoncent à juste titre le scandale de leurs conditions de travail, la population comprend les sous-entendus soulevés par ces constatations : en structure, les infirmières sont « mal traitées » alors qu’en libéral ….C’est par petites touches donc, que l’image de l’infirmière libérale pourra changer dans l’imaginaire collectif, bien que le chemin à parcourir semble encore très long et parsemé d’embuches !

Et vous, prenez-vous le temps (et le pouvez-vous) du contact et de l’échange ? Le rythme de votre quotidien vous parait-il enviable ? Comment jugez-vous l’image de l’infirmière libérale dans l’esprit populaire ?