La question peut paraître provocatrice à un moment, où la question des déserts médicaux concentre une partie de l’attention de la population. Pourtant, la question mérite d’être posée à la lecture d’une récente étude de la Drees.

Quand la démographie des infirmières libérales est un sujet de santé publique

 

Les infirmières libérales sont, comme toutes les professions médicales, confrontées à ce que l’on a pris l’habitude d’appeler la désertification médicale. C’est un des sujets récurrents depuis plusieurs années, dès lors que l’on évoque les soins de ville et la démographie des infirmières et infirmiers libéraux. On a déjà souligné, comment les collectivités locales multipliaient les initiatives pour attirer des professionnels de santé, au premier rang desquels des infirmières libérales. Cela ne suffit pas parfois, et l’instauration de zones sous-dotées, sur-dotées, … devait permettre d’apporter une solution pérenne et durable. On constate néanmoins qu’il n’en est rien, puisque la carte des zones sous-dotées ou très sous-dotées souligne à quel point les inégalités se creusent entre les territoires.

Cette désertification de certaines régions fait peser de graves menaces sur le principe d’égalité d’accès aux soins, et la ministre des solidarités et de la Santé a déjà affirmé que cette problématique de répartition des professionnels de santé sur l’ensemble du territoire faisait partie des priorités du quinquennat. Certains syndicats d’infirmiers libéraux se sont même alarmés de cette affirmation, en craignant qu’après les incitations faites aux IDEL(s) de venir s’installer dans des zones en manque d’infirmières libérales, les autorités ne se décident à créer des pénalités pour celles et ceux qui installeraient leur cabinet d’infirmiers libéraux en zones déjà suffisamment pourvues. Le principe a été démenti par le Ministère de la Santé, mais les Infirmières et infirmiers libéraux restent néanmoins attentifs sur les avancées de ce sujet.

 

Les infirmières libérales et hospitalières, une profession en forte croissance

 

C’est une étude de la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (Drees), qui vient relancer la polémique en y apportant un nouvel éclairage. Publiée en mai 2018, et directement consultable en ligne, cette étude semble contredire les affirmations relatives aux déserts médicaux, en tout cas pour ce qui concerne les infirmières et infirmiers libéraux. Ainsi, la Drees a mis en évidence une augmentation importante du nombre d’infirmiers en France entre 2000 et 2017. Leur nombre a ainsi progressé de 70 %, alors que l’augmentation n’était que de 17 % pour les médecins et de 54 % pour les sages-femmes. Cela renforce la profession infirmière comme étant la première profession de santé en termes d’effectif (600.000), devançant amplement les médecins (226.000). L’étude apporte deux explications à cette hausse spectaculaire :

  • La hausse des quotas (principalement en 2000 et 2003) après une grande période de stabilité
  • La réforme du système des retraites en 2010, qui a allongé la carrière professionnelle des infirmières et infirmiers.

Toujours est-il, qu’entre 2000 et 2016, le nombre d’infirmiers a connu une évolution annuelle moyenne de 3 % alors que la population elle ne croissait que de …. 0.6 %. Conséquence implicite, c’est la densité d’infirmiers qui a augmenté, passant de 637 infirmiers pour 100.000 habitants en 2000 à 972 en 2016. La question de la répartition géographique des infirmières et infirmiers se pose à nouveau.

De plus en plus d’infirmières libérales dans les années à venir ?

 

Pour aller plus loin dans l’analyse et pour donner les outils nécessaires à la prise de décision, l’étude de la Drees s’est livrée à des projections pour les années à venir. Il en résulte, que le nombre d’infirmières et d’infirmiers devraient encore continuer à s’accroitre de manière significative, puisque la progression entre 2014 et 2040 est estimée à 53 %. On devrait alors compter en France à cette échéance 881.000 infirmiers. En rapprochant les données de la Drees et de l’INSEE, on souligne, une fois de plus, la hausse inéluctable de la densité d’infirmiers en France, puisqu’en 2040, on devrait connaitre 1217 infirmiers pour 100.000 habitants. Si la prospective de la Drees souligne, que ces évolutions ne devraient pas avoir d’incidence (ou trop faible pour être significative) sur la répartition géographique. En revanche, l’exercice libéral de la profession infirmière devrait connaitre une hausse importante, puisque de 14 % en 2014, le taux d’infirmières et infirmiers libéraux devrait atteindre 23 % en 2040.

Au vu de ces résultats, il apparait peu judicieux de parler de désert médical à proprement parler en ce qui concerne les infirmières et infirmiers libéraux, même s’il faudrait une analyse plus détaillée consacrée uniquement à ce mode d’exercice. Toujours est-il que cette question du nombre d’infirmières et d’infirmiers en France devrait faire l’objet d’une étude (et donc d’une réaction) de la part des autorités sanitaires.