Les infirmières libérales mises sous surveillance

 

Un récent procès, mettant en cause une infirmière libérale, soulève la problématique de la mise sous surveillance de ces professionnelles de santé. La surveillance va-t-elle trop loin, et ne risque-t-on pas de décourager les vocations ?

 

L’emploi du temps d’une infirmière libérale, une surcharge de travail à gérer au quotidien

 

Alors que les infirmières hospitalières sont toujours mobilisées pour dénoncer leurs conditions de travail (et le mouvement de contestation dure depuis plusieurs semaines désormais rejoignant la contestation du personnel soignant des services d’urgence), les infirmières libérales, elles, continuent de faire face à un quotidien de plus en plus surchargé. Les journées de travail surchargées s’enchainent et figurent parmi les griefs les plus récurrents exprimés au sein de ces professionnelles de santé. Gérer la tournée de patientèle, s’organiser pour faire face aux imprévus (patient absent, rendez-vous supprimé ou décalé, réponse aux nouvelles demandes, ….).

Ce quotidien représente, à en croire la vaste étude réalisée par l’Ordre National Infirmier, un des principaux motifs expliquant que de plus en plus d’infirmières ou d’infirmiers libéraux jettent l’éponge après s’être essayé à l’exercice libéral de leur profession. Et ce sont ces mêmes conditions de travail, qui sont mises en avant à l’occasion de certains faits divers, impliquant un IDEL. Car si les horaires de l’infirmière libérale sont extensibles et compliqués à cerner, la Sécurité Sociale s’attache désormais à les comprendre pour pouvoir ainsi détecter d’éventuelles fraudes.

 

Les horaires de l’infirmière libérale au centre d’un procès

C’est au tribunal de Roubaix qu’a été jugée une infirmière libérale d’une cinquantaine d’années, accusée par la Sécurité Sociale d’avoir trop travaillée. La plainte de la Caisse primaire d’Assurance Maladie date de janvier 2016 et repose sur une analyse fine des données d’activités recueillies concernant cette IDEL. En détaillant précisément les soins facturés par cette infirmière libérale, le plaignant a donc reconstitué son emploi du temps, qu’il considère comme impossible et même impensable. Le président du tribunal, M Jean-Marc Defossez souligne même le zèle de cette soignante en déclarant en audience : « Visiblement, elle ne prend pas de vacances, ne part jamais en week-end. Enfin, pour le contrôle du temps, Laurence P. dépasse Harry Potter, avec parfois des journées de travail de… 25 heures. »

Il faut dire que la CPAM a présenté un rapport, présentant qu’en fonction des soins facturés, les journées de travail de l’infirmière libérale étaient de 21, 5 heures en moyenne avec parfois des journées dépassant les 25 heures donc. Une reconstitution qui amène la Sécu à estimer le préjudice à 295.000 euros, répartis sur une période courant de 2012 à 2017. De son côté, l’infirmière libérale incriminée a reconnu « quelques erreurs », tout en rejetant la volonté de frauder. Toujours est-il qu’elle a été condamnée à deux and d’emprisonnement avec sursis et à l’interdiction d’exercer en libéral pendant 5 ans.

La surveillance des infirmières libérales en question

 

Il ne s’agit pas ici de se prononcer sur la plainte de la CPAM, qui accusait l’infirmière libérale de soins facturés mais non réalisés, de doublons avec des prises en charge déjà accordées ou encore d’actes fictifs, mais bien de s’interroger sur la surveillance, dont font l’objet ces IDEL(s). Qu’il s’agisse de procédures pour fraude ou de réclamation d’indus, l’Assurance Maladie s’appuie désormais sur des algorithmes de plus en plus puissants et complexes. Les horaires de travail de chaque infirmière libérale peuvent ainsi être estimés en quelques clics, et grâce au Machine Learning (capacité pour un algorithme d’apprendre à être plus efficace) et à l’intelligence artificielle, chaque anomalie est analysée presque en temps réel.

On comprend que l’organisme public se félicite d’une efficience renforcée de sa lutte contre la fraude, mais on peut aussi s’inquiéter de cette « mise sous surveillance ». D’autant plus, que lorsque l’Assurance Maladie décide d’engager une action contre une infirmière ou un infirmier libéral, l’organisme public a déjà mené de nombreuses vérifications plus poussées, expliquant des délais très longs, rendant la défense de l’infirmière libérale plus difficile à organiser. Et le phénomène ne devrait pas s’inverser, au vu des déclarations des responsables de l’Assurance Maladie, qui se réjouissent de l’amélioration constante des outils informatiques utilisés.

Et vous, craignez-vous cette « mise sous surveillance » ou estimez-vous qu’elle fait déjà partie de la réalité du quotidien ?