Les sites de téléconsultation et de prise de rendez-vous ont pris de l’importance a cours de la crise sanitaire liée au coronavirus, et cela interroge les infirmières libérales

 

Les plateformes de mise en relation vont-elles devenir incontournables et indispensables ?

 

Pendant la crise sanitaire, alors que les infirmières libérales et les professionnels de santé étaient pleinement mobilisés, les plateformes de prises de rendez-vous et de téléconsultation ont renforcé leur légitimité aux yeux des patients. Une situation qui inquiète une partie des infirmières libérales, qui s’alarment de la prépondérance prise par certains de ces acteurs de la santé 2.0

 

 

Pourquoi et comment les plateformes de mise en relation et autres annuaires sont devenus indispensables ?

La transformation numérique de nos sociétés a des conséquences sur le milieu de la santé et notamment sur les professionnels libéraux de santé. On pense bien évidemment à la e-santé, aux téléconsultations pratiquées par les infirmières libérales, … Mais une des conséquences les plus concrètes au quotidien réside bien dans la multiplication des annuaires et autres plateformes de mise en relation entre les patients d’un côté et les professionnels de santé libéraux, comme les IEL(s) notamment. En quelques années, ces outils numériques se sont rapidement imposés tant pour les professionnels que pour les patients.

Au départ, l’infirmière libérale pouvait s’inscrire sur un annuaire en ligne en complétant quelques informations (nom, adresse, spécialités, horaires, zone d’intervention, …), puis les sites ont proposé de mettre en relation patients et professionnels. En quelques clics, tout patient peut désormais trouver une infirmière libérale, prodiguant ses soins sur son secteur, et avec la géolocalisation, la recherche peut même être entièrement automatisée. Et ces plateformes proposent désormais des services de téléconsultation sécurisés. Non seulement le patient peut prendre rendez-vous chez son médecin généraliste, mais il peut aussi, en se connectant, bénéficier de ces téléconsultations. Certes, ces services sont originellement destinés aux médecins, même si rapidement de nombreuses infirmières et infirmiers libéraux ont cherché à profiter de cette « réactivité » optimale offerte par ce type de plateforme. Inscrite sur le site de téléconsultation de Doctolib depuis la fin de l’année 2019, une infirmière libérale des Pyrénées Orientales expliquait ainsi aux journalistes de L’indépendant : «  (…) je me suis un jour posé la question, sous l’angle à la fois pratique et fonctionnel : les médecins, les kinés, les spécialistes, les dentistes, les vétos etc. s’inscrivent sur le site Doctolib, pourquoi les infirmières ne le feraient-elles pas à leur tour ? »

Doctolib et les autres, des partenaires incontournables pour les infirmières libérales ?

 

Bien qu’il existe de nombreux sites de ce genre, tous présentant des spécificités et des contraintes particulières, le marché reste dominé par Doctolib. Ce dernier a acquis une place telle, que même les autorités sanitaires s’appuient sur lui pour promouvoir leurs décisions. Ainsi lorsque l’Agence Régionale de Santé organise un dépistage gratuit spécial Covid à Saint jean de Monts, elle invite les patients à s’inscrire sur …Doctolib. C’est tout le message adressé par le cofondateur du site, M Stanislas Niox-Château au début du mois d’avril en expliquant, s’agissant des professionnels libéraux de santé, que c’est leur « rôle de se mettre à leur service et au service de l’Etat. Donc on a pris la décision de généraliser gratuitement la video-consultation« .

La plateforme de mise en relation et donc désormais de téléconsultation a acquis, durant cette crise sanitaire, une légitimité renforcée en apparaissant, aux yeux des patients, comme un partenaire engagé aux côtés des services publics. Pour les professionnels de santé, les services proposés pendant la crise sanitaire (téléconsultation, gratuité de certaines options, …) ont été une réponse pratique à de nombreuses revendications. Cependant, bien que certains annoncent une deuxième vague de l’épidémie, Doctolib comme la quasi-totalité des concurrents ont retrouvé un fonctionnement plus « normalisé ». Et des questions se posent alors tant pour les infirmières libérales que pour les autres professionnels de santé.

 

Les plateformes de mise en relation, un danger à moyen terme pour les professionnels libéraux de santé ?

 

Pour les patients, la question de la sécurité mais aussi et surtout de la confidentialité des données reste une des principales préoccupations. Lorsque le site Doctolib affirme que le piratage, dont il a été victime, ne concerne que des données non médicales, il déclenche néanmoins une méfiance ou une peur de la part des patientes et des patients. La sécurité et la confidentialité des données sont au cœur des ambitions de tous ces sites. En effet, les sites disposent et conservent des données médicales importantes sur chacun des patients enregistrés : historique des rendez-vous, parfois le motif de la consultation, et avec les services de téléconsultation, Doctolib disposent aussi désormais des ordonnances prescrites à cette occasion. Et ces données considérées comme médicales donc sensibles doivent donc être protégées et sécurisées, d’autant plus que les nouvelles réglementations européennes (notamment avec le RGPD) sont de plus en plus contraignantes en la matière. C’est une inquiétude pour les patients mais aussi une contrainte pour les professionnels de santé. En effet, aux termes de la loi, lorsqu’une infirmière libérale s’inscrit sur Doctolib, elle reste juridiquement parlant « responsable du traitement de ces données de santé ».

Mais pour les infirmières libérales comme pour les autres professionnels de santé, ce genre de plateforme pose une autre question encore plus problématique pour l’avenir même de leur activité. En effet, ces plateformes sont entrées aujourd’hui dans les mœurs et les habitudes des patients. Plus d’un patient sur deux en France en a déjà fait l’expérience. Et même les patients, ayant décidés de ne pas franchir le pas, sont parfois rattrapés sans même le savoir. Il suffit qu’un cabine de médecins généralistes ou d’infirmières libérales utilisent l’outil de gestion de planning et de patientèle d’un tel site de mise en relation, pour qu’automatiquement tous ses patients soient enregistrés sur ce site. En d’autres termes, un patient prenant rendez-vous avec une infirmière libérale pourra recevoir la veille de ce rendez-vous un SMS de la part de Doctolib pour lui rappeler ce dernier.

Difficile dans ses conditions pour une infirmière libérale d’ignorer ces nouveaux outils. Le questionnement des professionnels de santé provient plus de la stratégie à venir (et elle n’est pas encore connue) de ces sites de mise en relation. Aujourd’hui, le coût est considéré comme une charge professionnelle courante. Mais qu’en sera-t-il lorsqu’un site de mise en relation décidera de faire payer une « prime » aux professionnels de santé souhaitant apparaître en haut de la liste, devant leurs confrères. Il ne s’agira plus alors d’une charge contrainte mais bien d’un choix de communication publicitaire. Or tous les codes de déontologie des professions de santé l’interdisent formellement.

 

L’Ordre National des infirmiers (ONI)   a déjà confirmé la légalité et la conformité d’une inscription d’une infirmière libérale sur Doctolib.

« Les plateformes de mise en relation soignants/patients ne portent pas atteinte, en tant que telles, aux règles déontologiques relatives à la profession « 

En revanche, l’ONI met en garde tous les infirmiers libéraux en rappelant l’interdiction de toute action publicitaire et va même plus loin en expliquant : « Elle (l’infirmière libérale) ne devrait pas avoir à payer, si elle paie, cela peut être considéré comme une forme de publicité. ». Et à ce titre, l’Ordre rappelle 3 obligations qui s’imposent à toutes ces plateformes de mise en relation :

  1. Garantir le libre choix de son infirmière libérale (cela suppose l’absence de procédés visant à hiérarchiser les professionnels de santé entre-eux mais aussi à interdire le recueil et encore plus la publication d’avis des patients sur leurs soignants.
  2. S’assurer du respect des données de santé (voir ci-dessus)
  3. Interdiction de partager les honoraires, puisque contraire aux règles déontologiques.

 

On comprend, que ces sites de téléconsultation et de prise de rendez-vous sont à la limite du possible, et que le basculement est possible à chaque instant. Et plus le temps passe, plus ces plateformes prennent de l’importance, rendant de plus en plus difficile les « actions de résistance ». C’est cela, qui inquiète une partie des infirmiers libéraux et plus généralement des professionnels de santé.

 

Et vous, utilisez-vous au quotidien ces nouveaux outils ? Partagez votre retour d’expériences sur le sujet ? Craignez-vous de voir ces plateformes prendre encore plus d’importance au risque d’être en mesure de « dicter leur loi » ?