Pourquoi les indus réclamés aux infirmières libérales se multiplient ?

Les caisses d’Assurance Maladie exigent, le plus souvent de manière brutale, des indus aux infirmières et infirmiers libéraux. La manière de procéder peut apparaitre comme choquante voire injuste, mais une fois le choc passé, les infirmières libérales concernées doivent alors prendre connaissance des griefs qui leur sont reprochés. Pour quels motifs les réclamations d’indus se multiplient ?

Des prétextes aussi nombreux que divers pour justifier les indus

En commençant cette réflexion sur les indus et en s’interrogeant sur la légitimité et le bien-fondé de la manière de faire de la CPAM , nous avons suscité de nombreux témoignages, certains angoissés d’autres irrités. Mais une autre question mérite alors d’être soulevée : pour quelles raisons sont lancées ces procédures contentieuses par les caisses d’assurance maladie ? Même si chaque situation est unique, force est de constater que les motifs invoqués pour ces procédures font apparaitre des griefs récurrents :

  • Erreurs dans le calcul des indemnités horokilométriques
  • Mauvaise application des règles relatives au travail de nuit ou du dimanche
  • Contrats de remplacement erronés
  • AMI surévalués
  • Forfait temps en contradiction avec les actes facturés
  • Soins infirmiers effectués alors que le patient a été hospitalisé le jour même

Bien que la procédure apparaisse comme violente aux yeux des infirmières et des infirmiers libéraux concernés, on constate que la grande majorité de ces motifs résultent d’une différence d’interprétation des différents textes et non d’une fraude organisée. Cette distinction essentielle n’est cependant pas prise en compte par les caisses d’assurance maladie, qui considèrent chaque cas comme une surfacturation, laissant ainsi présager du caractère fautif du professionnel de santé.

Une rétroactivité difficile à accepter, l’angoisse d’une mémoire défaillante

A la surprise de l’infirmière libérale, qui prend connaissance en une seconde des sommes souvent astronomiques qui lui sont réclamées, succède un véritable effroi en comprenant que les indus sont rétroactifs sur une période de 3 ans. On comprend alors que les sommes réclamées peuvent atteindre des sommets, puisque chaque soin, chaque déplacement, chaque facture des infirmières libérales peuvent faire l’objet d’une procédure et ce sur les 3 dernières années.

Il va alors appartenir à l’infirmière libérale de se défendre et d’opposer des explications justifiées et vérifiables à chacun des arguments avancés par la Caisse d’Assurance Maladie. Autant dire que cette justification implique de disposer de dossiers de soins tenus au jour le jour depuis des années mais aussi des agendas dûment conservés. L’infirmière libérale sera-t-elle en mesure de prouver ses soins à un patient, hospitalisé quelques heures après lorsque ces soins remontent à deux ans ?

Cette rétroactivité implique alors pour l’infirmière libérale un travail titanesque pour retracer son emploi du temps au cours des dernières années mais aussi de justifier ce qu’elle a peut-être oublié.

Le temps de travail, une remise en cause du travail des infirmières libérales

Un des motifs, souvent évoqués pour justifier ces indus, réside dans le temps de travail même des infirmières et infirmiers libéraux. Au sentiment d’injustice initié par la rétroactivité s’ajoute une totale remise en cause de l’activité. En cause, les AIS3. La Nomenclature des actes professionnels (NGAP) définit ces soins infirmiers pour un patient « par séance d’une demi-heure, à raison de quatre au maximum par 24 heures ».

Et ici l’interprétation de ce texte, en apparence si simple, est à la base de nombreux conflits. La demi-heure de travail est-elle un prérequis pour la facturation d’un AIS3 ou ces soins peuvent-ils être effectués en moins de 30 minutes ? Cette différence d’interprétation a fait l’objet de nombreux jugements, dont deux arrêts de la Cour de Cassation. Ces derniers, dans une logique purement mathématique, ont suivi les demandes des caisses d’assurance maladie en rappelant qu’une infirmière libérale ne pouvait pas travailler plus de 17 heures par jour. Ainsi, le seuil journalier de 34 AIS3 est devenu une règle infranchissable pour les infirmières et infirmiers libéraux, même si ces décisions n’apportent aucune réponse aux situations du quotidien. Que devra coter un infirmier libéral si il est resté moins de 30 minutes chez son patient ?

Qualité des soins ou forfait horaire, quelle voie pour les infirmières libérales ?

L’opposition entre la notion même de soins infirmiers et de forfait horaire n’est toujours pas tranchée, et les arguments sont nombreux pour indiquer l’obsolescence de cette règle. Les infirmières libérales expérimentées sont également nombreuses à souligner l’absurdité d’une démarche visant à considérer toutes les infirmières et tous les infirmiers libéraux comme travaillant de la même manière, au même rythme.

Mais cette remise en cause du travail effectif de l’infirmière libérale est totale. En effet, il ne s’agit pas pour les caisses d’assurance maladie de réclamer les sommes relatives aux seuls moments litigieux mais bien d’exiger le remboursement de l’intégralité des soins pratiqués par le professionnel de santé. Cette différence d’interprétation amène ainsi l’infirmière libérale à devoir rembourser des soins, qu’elle a prodigués même si elle a pu, par la suite, commettre une erreur de facturation. Et lorsque le contentieux s’étale sur les 3 dernières années, on comprend aisément que les sommes réclamées soient sans commune mesure avec les pires craintes de ces professionnelles.

La nécessité de se défendre en continuant à … travailler

Il existe plusieurs procédures offertes aux caisses pour lancer ces procédures d’indus. Seule la procédure conventionnelle semble ne plus exister que dans les textes. Il faut dire que cette dernière invite le professionnel de santé à prendre en compte les remarques de la caisse et à en tenir compte pour se prochaines facturations. Un rappel à l’ordre en quelque sorte, qui a disparu au profit des procédures de notification d’indus .

Dans tous les cas, l’infirmière libérale doit alors faire connaître ses arguments pour éventuellement faire appel de cette décision, et le casse-tête de la recherche des preuves monopolise l’attention de l’infirmière libérale. Le recours à un avocat s’impose, notamment lorsque la voie pénale est choisie par les caisses, voie pénale impliquant, dans la majorité des cas, le placement du professionnel de santé en garde à vue.

Il résulte de cette situation un stress immense pour l’infirmière libérale, qui doit faire face à cette épée de Damoclès tout en répondant aux frais induits de ce type de procédure (dont les frais d’avocat) et aux exigences matérielles imposées pour se défendre (se justifier pour chacun des griefs avancés, rechercher la trace matérielle des soins incriminés, …).

A ces traumatismes vient enfin s’ajouter la nécessité de continuer son activité, même si chacun pourra comprendre que l’état d’esprit n’y est plus.

 

L’infirmière libérale face aux indus, présumée innocente ou coupable en puissance ?

La lecture des innombrables jugements, dont ceux des Cours d’Appel notamment, démontre que le plus souvent, ces efforts ont été vains puisque les infirmières et infirmiers libéraux sont condamnés au paiement de ces indus avec parfois des pénalités pouvant atteindre jusqu’à 200 % des sommes concernées.

Ces condamnations au paiement d’indus s’accompagnent parfois d’une interdiction temporaire d’exercice, supprimant toute source de revenus aux infirmières libérales. Comment faire alors pour s’acquitter de sa dette, d’autant plus que dans certains cas, les caisses d’assurance maladie ne se montrent pas prêtes à une forme d’indulgence ? On a déjà évoqué le cas d’Hélène, une infirmière libérale condamnée au paiement d’indus, contrainte de devoir dormir dehors pour obtenir un rendez-vous avec la CPAM de Gironde afin de discuter d’un …échelonnement de sa dette.

A toutes les étapes, la procédure d’indus reste donc un véritable traumatisme, souvent ressenti comme une injustice intolérable par les infirmières et les infirmiers libéraux concernés. La prochaine réforme de la NGAP, annoncée depuis des mois, devrait permettre d’apaiser les relations entre les IDEL(s) d’une part et les caisses d’autre part. Un sujet à suivre donc même si en attendant …

Laissez-nous vos commentaires, vos remarques, vos témoignages sur ces procédures d’indus !