Infirmière de Pratique Avancée, un nouveau statut difficile à créer ?

Porté par les infirmières libérales notamment, le statut d’IPA a été créé officiellement par la Loi Touraine de janvier 2016. Depuis, des travaux préparatoires ont permis de souligner les inquiétudes des infirmières libérales d’une part mais aussi les craintes des médecins libéraux d’autre part. Présenté dans une première version en mars 2018, ce statut d’Infirmière de pratique Avancée a fait l’objet d’un nouveau décret présenté le 24 avril dernier. Bien que ce dernier ne réponde pas en totalité aux griefs des différentes parties, il devrait être validé dans les prochains jours.

Infirmières de pratique avancée (IPA), une reconnaissance pour toute une profession

On en parle depuis des années, et c’est depuis plus de deux ans maintenant une réalité, qu’il reste encore à mettre en place : les infirmières de pratique avancée (IPA). C’est la loi du 26 janvier 2016, dite Loi Santé ou même Loi Touraine, qui a donné une existence juridique à ce nouveau statut de la profession infirmière. Si l’IPA est une évolution attendue en France depuis bien longtemps, elle existe déjà dans bon nombre de pays occidentaux. En résumé, l’IPA serait donc une profession intermédiaire, se situant entre les médecins d’une part et les auxiliaires médicaux d’autre part. Une formation plus exigeante, de nouvelles missions, de nouvelles responsabilités, …., les infirmières de pratique avancée, bien que légalement créées par la loi, devaient donc bénéficier d’une vaste concertation, afin de définir leur champ de compétences et les modalités d’exercice.

C’est donc bien une reconnaissance de l’expertise d’une profession, que la loi décidait de consacrer. Mais avec la création de ce nouveau statut, la loi ambitionnait aussi de « réorganiser les pratiques en définissant de nouvelles règles de partage entre professionnels de santé« . Car si l’IPA reste une évolution pour les infirmières libérales notamment, elle représente aussi un changement pour les médecins et les autres professionnels de santé. L’autonomie à venir de ces IPA devait donc permettre, en théorie, de libérer du temps pour les médecins généralistes et ce nouveau statut s’inscrivait donc aussi dans une autre des priorités du gouvernement actuel : lutter contre les déserts médicaux.

Les attentes étaient donc très fortes, mais les réticences aussi. Les médecins ne souhaitaient pas voir apparaître une nouvelle forme de concurrence, alors que les infirmières et infirmiers libéraux attendaient de connaître précisément les tâches et les compétences attendues de ces « super infirmières ».

Une réflexion pour imaginer les missions dévolues aux infirmières libérales de demain !

Après le vote et l’adoption de la loi Santé, tous les acteurs concernés ont dû patienter de très longues semaines avant que ne commencent réellement les travaux de réflexion et de concertation. Les représentants des Infirmiers mais aussi des médecins sont sollicités depuis l’automne 2016. Pourtant, il aura fallu attendre le 8 mars 2018 pour que le Ministère des Solidarités et de la Santé organise une grande journée de concertation. C’est à cette date, que les syndicats des Infirmiers et les professionnels de santé ont pu découvrir un projet de décret déjà rédigé. Sur un projet aussi ambitieux, la méthode a déjà concentré de nombreuses critiques, les représentants des médecins et des Infirmiers, estimant que la concertation n’avait pu lieu d’être. Toujours est-il, que la lecture de ce projet de décret d’application a suscité la colère et l’incompréhension des médecins comme des infirmières.

L’Ordre National des Infirmiers (ONI) regrettait ainsi : « Dans le projet de texte de décret, on ne trouve aucune mention des termes « consultation », ou encore sciences infirmières (…) L’infirmière de pratique avancée devra attendre de se voir attribuer par le médecin chacun de ses patients »

L’ONI, comme les syndicats des infirmières et infirmiers, soulignait (déjà) l’absence d’autonomie de ces IPA. Pourtant, il s’agissait bien des objectifs initiaux du projet. C’est aussi, en s’appuyant sur les retours d’expérience des pays, ayant déjà mis en place la pratique avancée, que les infirmières et infirmiers libéraux ont tenu à faire progresser leurs idées. Ainsi, le Conseil International des Infirmières (CII) a publié une étude «  La pratique infirmière avancée, une composante essentielle des ressources humaines nationales pour la santé », dans laquelle on peut lire notamment :

« Grâce aux infirmières de pratique avancée, les populations difficiles à atteindre, vivant au cœur des villes ou dans les communautés rurales et isolées, accèdent plus facilement aux soins de santé. L’accès à des dispositifs de promotion de la santé et de santé préventive, de même qu’à des services de traitement des maladies et des blessures, permet aux personnes d’être en bonne santé ou de recouvrer la santé : elles sont ainsi en mesure de contribuer aux systèmes sociaux et économiques. »

Si les infirmières se montraient déçues de cette concertation, les médecins n’en étaient pas pour autant satisfaits. En effet, alors que la pratique avancée implique naturellement de faire réaliser certains actes médicaux par les IPA, les médecins, quant à eux, rejetaient catégoriquement toute entorse à leur monopole des prescriptions.

 

Les médecins, vraiment hostiles aux infirmières de pratiques avancées ?

 

On comprend, que la création même des IPA représente une (r)évolution pour l’univers des infirmières et infirmiers libéraux. Ce nouveau statut implique également la définition de nouvelles relations entre les différents professionnels de santé, à commencer par celles liant les médecins libéraux aux futures infirmières de pratique avancée. Et certains de ceux-ci, pour ne pas dire une grande majorité, s’inquiètent de cette création, qui n’est pas sans conséquences à leurs yeux.

Ainsi, M Battistoni, président du syndicat des médecins généralistes de France (MG France) , déclarait au micro des journalistes d’Europe 1 : « S’il s’agit de créer un autre corps professionnel qui vient prendre notre place, ça ne nous convient pas. ». On est loin alors des préoccupations autour de la prise en charge et/ou du bien-être des patients, mais on semble plus près de revendication sectorielles, d’une profession cherchant à défendre ses intérêts.

Et pourtant, les infirmières de pratiques avancées ne sont pas des concurrentes aux médecins mais représentent bien une solution d’accompagnement du patient. Toujours est-il, que le lobbying des médecins n’est peut-être pas sans effets sur la direction, prise par ce projet innovant qu’était à l’origine la création du statut d’infirmières de pratiques avancées. Certes, les IPA doivent, à terme, permettre de participer à lutter contre les effets néfastes de la pénurie de médecins généralistes en France, non pas en en se substituant à eux mais en les libérant de certaines tâches et soins.

Pourtant, l’opposition de M Battistoni repose sur la nature même de ce nouveau statut pour les infirmières libérales. C’est ce qu’il exprimait, quelques jours seulement après la réunion du 8 mars dernier :

« Ce qui risque de se passer, c’est que des infirmières vont se former pendant qu’elles exercent à l’hôpital puis s’installeront en libéral comme IPA. Elles pourront réaliser des examens cliniques, une anamnèse, prescrire des examens biologiques et des radios… On est quasiment dans de la médecine. Et imagine-t-on des IPA libérales qui feraient les choses sans prévenir le médecin, ou prescriraient des examens comme c’est mentionné dans le projet de décret ? Ce serait forcément compliqué tant pour le généraliste que pour les patients qui ne sauraient plus qui est responsable de quoi ».

Les infirmiers comme les médecins affichaient donc leur scepticisme et leur opposition au décret tel qu’il leur était présenté le 8 mars dernier. Le Ministère de la Santé prenait acte des contestations et des motifs invoqués par chacune des parties, avec l’objectif affiché de mener le projet à son terme dans les meilleurs délais.

Un nouveau décret, qui ne répond pas aux exigences des infirmières libérales

 

C’est donc pour faire face à cette contestation, qu’un nouveau décret a été proposé pour la définition des compétences des IPA, le 24 avril dernier. Mais celui-ci ne répond pas aux attentes des infirmières et infirmiers libéraux, alors qu’il contente (pas totalement cependant) les médecins, qui retrouvent le rôle central, qu’ils revendiquaient.

En effet, c’est donc le médecin, qui décidera de confier ou non le patient à une infirmière de pratique avancée. Le décret va même plus loin en donnant la responsabilité aux médecins, de déterminer la « conduite diagnostique » et le « choix thérapeutique ». Dans ces conditions, les infirmières libérales peuvent légitimement se sentir lésées, puisqu’aucun pas n’a été fait en ce qui concerne leur revendication de plus d’autonomie notamment.

Certes, le protocole d’organisation sera bien établi en concertation entre le médecin et l’infirmière de pratique avancée concernée, mais peut-on s’en féliciter puisqu’il ne s’agit ici que de définir les règles pratiques et concrètes de cette nouvelle collaboration.

Du côté de l’IPA, ce décret confirme sa capacité à assurer la prise en charge d’un patient dans 4 domaines distincts :

  • Oncologie
  • Maladies rénales chroniques, dialyse, transplantation
  • Pathologies chroniques stabilisées
  • Prévention et Polypathologies courantes en soins primaires

Elle pourra dès lors réaliser un entretien avec le patient, mais aussi prescrire des examens, ou renouveler (ou adapter) des prescriptions. Cette autonomie (toute relative) concentre encore l’opposition du corps médical, avec des propos pas toujours flatteurs. Ainsi, répondant aux questions des journalistes de BFM TV, Philippe Vermeersch, président du Syndicat des Médecins Libéraux (SML) déplorait : « On nous sort un nouveau métier avec une autonomie très large. Prescription de radio, d’examens biologiques… C’est du travail de médecin. Dans ce cas, à quoi ça sert de faire médecine ? ». L’inquiétude des médecins reste focalisée sur la concurrence que représenteraient ces nouvelles infirmières. « (…) ce qui soulagerait les médecins, c’est d’avoir des assistantes et des secrétariats pour traiter tout ce qui est administratif et qui mange 40% à 50% de leur temps médical« . On est donc loin des infirmières de pratique avancée.

 

Une formation pour devenir IPA dès la rentrée universitaire 2018 ?

 

Si le nouveau décret n’apaise pas toutes les tensions et n’apporte pas de réponses à toutes les questions soulevées par la première version du 08 mars dernier, il doit néanmoins être examiné et validé par le Conseil d’Etat. Les formations devant permettre l’apparition des premiers IPA devraient en effet être effectives à la rentrée 2018. Cette formation, de niveau Master 2, reste une première satisfaction pour la profession infirmière, même si, comme nous l’avons souligné ci-dessus, les motifs de contestation restent encore aussi nombreux que diversifiés.

On pourrait croire, qu’après toutes ces péripéties, le projet soit enfin sur les voies de la concrétisation. Et pourtant ! 11 organisations ( Ordre national des infirmiers, Collège Infirmier français, AFDS, ANPDE, Académie des Sciences infirmières, CNI, Fnesi, Snies-Unsa éducation, ANFIIDE, GIC Répasi ANFIIDE, AFIDTN) se sont associées pour adresser un « Plaidoyer pour le maintien de l’accès aux soins dans une approche collaborative innovante » à Agnès Buzyn, Ministre de la Santé. Ce plaidoyer liste les sujets de crispation, en dénonçant le peu d’ambition affichée par le Ministère :

« Un fossé se creuse entre la France et les systèmes de santé étrangers qui, confrontés à des défis de santé publique similaires, sont beaucoup plus audacieux et développent des stratégies plus adaptées qui dépassent les clivages traditionnels entre professions de santé. »

Et le texte demande à Mme la Ministre de revoir sa copie en l’invitant à « Modernisons vraiment notre système de santé et donnons-nous les moyens d’atteindre les objectifs fixés dans la stratégie nationale de santé en faisant de la démocratie sanitaire une réalité. ».

L’appel lancé sera-t-il entendu, et se dirige-t-on vers une troisième version de ce décret d’application ? On peut légitimement en douter face à l’attitude du Ministère de la Santé. Reste donc désormais à savoir, dans quel climat et sous quelles formes les premières infirmières de pratique avancée pourront enfin s’installer et exercer leurs nouvelles missions.

 

Et vous, comprenez-vous les réticences des uns et des autres pour la mise en place de ce nouveau statut d’infirmière de pratique avancée ? D’après vous, les médecins ont-ils raison de défendre leurs prérogatives ? Et les infirmières ont-elles raison d’exiger plus d’autonomie et de vouloir s’échapper de cette tutelle du corps médical ?